« Ce mouvement n’est pas seulement lié à George Floyd » : la presse américaine et les « deux virus » qui frappent les Afro-Américains

  • 2020-06-01 19:07:29
La multiplication rapide de la contestation contre les violences policières met à jour les inégalités des minorités face à la crise sanitaire, soulignent, lundi, des médias américains. Cliff Albright est afro-américain et habite à Atlanta, où il a cofondé un collectif encourageant les membres de sa communauté à aller voter. Au journaliste du Washington Post qui lui demande son analyse à la fin d’un week-end de manifestations contre les violences policières, dimanche 31 mai, il répond : « Les gens parlent de deux virus – celui du racisme et le coronavirus. » Le 25 mai, la mort d’un homme, George Floyd, lors d’un contrôle de police a été le déclencheur d’une protestation de grande ampleur pour dénoncer la discrimination systémique des Afro-Américains par les forces de l’ordre aux Etats-Unis. Mais la rapidité avec laquelle la colère des manifestants s’est propagée dans des dizaines de villes et les scènes de violences constatées – au moins cinq personnes sont mortes en une semaine – amènent plusieurs médias américains à mettre en lumière deux ressorts plus profonds à la crise : les inégalités économiques et sociales subies par la communauté afro-américaine, elles-mêmes en partie à l’origine d’une mortalité beaucoup plus importante du Covid-19 chez les Afro-Américains. Trois facteurs aggravants Dès le 23 mai, dans une enquête soulignant qu’aux Etats-Unis les Noirs avaient trois fois plus de chances d’être hospitalisés pour une infection au nouveau coronavirus que les Blancs et les Hispaniques, Roni Caryn Rabin, journaliste au New York Times, mentionnait trois facteurs aggravants : « Des logements surpeuplés, une santé générale plus mauvaise en moyenne et un accès limité aux prestations de soin. ». « Nous sommes dans l’incapacité de voir le nombre disproportionné d’Afro-Américains qui meurent dans nos hôpitaux, mais nous pouvons voir le cas isolé de George Floyd, étouffé dans la rue », commente Jennifer Senior, dans une chronique publiée dimanche 31 mai sur le site du New York Times. L’éditorialiste conçoit l’ampleur de la protestation comme le révélateur d’une colère ancienne, emmagasinée chez les manifestants puis déclenchée par la mort de M. Floyd à Minneapolis : « Les Afro-Américains – et de nombreux Blancs aussi – étaient tellement furieux qu’ils sont descendus dans la rue pour protester, même en pleine pandémie, et alors même que les Afro-Américains sont les plus menacés par cette pandémie. » « Ce mouvement n’est pas seulement lié à George Floyd, résume Yvonne Passmore, Afro-Américaine de 65 ans et habitante de Minneapolis, au Washington Post. C’est le résultat d’années pendant lesquelles nous avons été traités comme des moins-que-rien – et pas que par la police. Nous n’avons pas accès à un système de soins correct. Nous n’avons pas accès à des logements corrects. Il y a tellement de discriminations, et pas seulement face à la justice. C’est un tout. » Critiques de la violence Un « tout » qui a fini par « pousser les gens à bout », illustre l’ancien basketteur Kareem Abdul-Jabbar dans une tribune au Los Angeles Times, le 30 mai. « La communauté noire est habituée au racisme institutionnel inscrit dans le système scolaire, la justice et le marché du travail, explique-t-il. Mais le Covid-19 a précipité [cette discrimination] chez nous, alors que nous mourons à un taux significativement plus élevé que les Blancs, et nous sommes les premiers à perdre nos emplois. » Dans le même texte, M. Abdul-Jabbar demande aux nombreux critiques de la violence observée dans les manifestations de revoir leur jugement à l’aune des injustices subies par les personnes noires aux Etats-Unis. « Je ne veux pas voir des magasins pillés ou même des bâtiments incendiés », assure-t-il, mais « les Afro-Américains vivent dans un immeuble en flammes depuis des années. (…) Ce que vous voyez des manifestants noirs n’est pas la même chose si vous vivez dans cet immeuble, ou si vous le regardez à la télé avec un saladier de chips sur vos genoux ». La question de la compréhension ou la dénonciation du passage à la violence se retrouve aussi dans la couverture des émeutes par The Nation, le plus vieil hebdomadaire américain, paru pour la première fois en 1865. « Chaque personne a une limite aux injustices qu’elle peut supporter avant de se déchaîner, écrit le journaliste Elis Mystal. Jamais je ne mettrais le feu à des bureaux. Mais j’en ai envie. Et je comprends pourquoi certaines personnes le font. »

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