Que se passe-t-il dans le Sud du Yémen ? AIJES

  • 2019-08-27 11:31:39
Que fait le "Conseil de transition du Sud" et tous ceux qui luttent à ses côtés ? Ils ont libéré leurs terres des putschistes houthis, contribué à la lutte contre le terrorisme et remporté des victoires sur Al-Qaïda et Daech à Al-Mukalla, Shabwa, Abyan et Aden. Peut-on les qualifier de séparatistes ? Il s’agit là d'un jugement réducteur dangereux qui empêche de mieux comprendre les événements qui secouent le pays et toute la région. Nous parlerons plus précisément d'un "noyau viable". La partie sud du Yémen présente une véritable immunité contre l'islam politique, responsable du grand fiasco dont souffre le pays. Sans cette immunité, Aden et la ville côtière d'Al-Mukalla se seraient transformées en nouveaux émirats de Daech et Al-Qaïda. Le Sud résiste aux groupes terroristes Historiquement, Aden est la capitale de la République démocratique populaire du Yémen. L'unité réalisée en 1990 a mis fin au modèle marxiste qui prévalait dans le sud après l'effondrement du système socialiste. Le Nord était plus proche du modèle occidental. Ce nouveau mécanisme politique a avantagé les tenants de l'islam politique représenté par les "frères musulmans". Le taux élevé d'analphabétisme a rendu la société yéménite sensible aux idées politiques qui ont joué sur la confusion entre marxisme et athéisme. Les Yéménites du Sud sont décrits comme des "ennemis de Dieu", en raison des idées de gauche répandues là-bas. En fait, l'élite politique du Sud (implicitement laïque) constituait une menace sérieuse pour un courant politique qui n'a eu de cesse d'utiliser l'islam comme force motrice dans les milieux modestes qui n'ont jamais pu profiter d'une réelle émancipation politique. Après les révoltes arabes de 2011, un nouvel espoir est né. Un processus politique solide basé sur la démocratie et le pluralisme a commencé, mais les manœuvres du parti islamique "Islah" (réforme) ont freiné cet élan. Ce parti est la façade politique des "frères musulmans" au Yémen. Il a su tirer profit de sa longue expérience de cohabitation avec le régime au pouvoir pour déstabiliser les autres acteurs de la scène politique yéménite. Basée sur l'opportunisme et la manipulation, l'approche politique des "frères" est toujours la même : diviser pour régner. L'ouverture politique de 2011 a révélé leurs pratiques. Le président Ali Abdallah Saleh s'est vite rendu compte que ses alliés islamistes étaient prêts à l'abandonner. Il l'a compris trop tard. Il a perdu le pouvoir en 2012 et la vie en 2017, sans entrer la postérité. Les Yéménites aspirent à une transition politique pacifique, mais les divergences politiques ont renforcé les milices chiites houthies, soutenues par l'Iran. La prise de contrôle de la capitale Sanaa par les rebelles houthis en septembre 2014 a constitué un tournant majeur pour le pays et la région. Ils ont ensuite visé Taëz, la troisième ville yéménite. Là aussi, le Sud s’est montré efficace dans la sauvegarde des rares acquis politiques. Le président Abd Rabbo Mansour Hadi qui bénéficiait d'une relative légitimité a dû fuir à Aden. Les Houthis ont poursuivi leurs avancée vers cette ville, l'obligeant à se réfugier en Arabie saoudite. Après de violents combats, les Yéménites du Sud ont expulsé les Houthis, comme ils avaient expulsé Al-Qaïda avant. Les « frères » tirent les ficelles Jour après jour, la légitimité du gouvernement yéménite incarné par Abd Rabbo Mansour Hadi s'effondre. L’Arabie saoudite, plongée dans le conflit avec des conséquences sur son propre territoire, n’est plus en mesure d’imposer le président yéménite comme un interlocuteur sérieux. Coupé de la réalité du terrain, il n'a plus que ses yeux pour pleurer devant l'ampleur de la catastrophe. Le Yémen est plus que jamais déchiré et constitue aujourd'hui un terrain de jeu pour les groupes islamistes classés terroristes. Ils n'ont quasiment rencontré aucune résistance, à l'exception des élites politiques du Sud. À Shabwa, Aden et Hadramaout, elles ont réussi à stopper les tentatives expansionnistes d'Al-Qaïda et Daech. Elles ont bénéficié du soutien de la coalition arabe. Les organisations terroristes ont subi de lourdes pertes face aux militants du Sud, soutenus par les Émirats Arabes Unis dans le cadre de la campagne internationale contre le terrorisme. Le Sud du Yémen attend depuis longtemps la fin de la crise, notamment depuis 2007 quand il a clairement exprimé ses aspirations de justice pour mettre un terme à la marginalisation exercée par le régime de l'ancien président Ali Abdallah Saleh et ses anciens partenaires du parti "Islah" ("frères musulmans"). Mais la patience a des limites. Le parti "Islah" et ses partenaires politiques ont utilisé la question du Sud pour manipuler l'opinion sudiste contre le puissant parti au pouvoir, le "Congrès général du peuple". En février 2011, le parti "Islah" a tenté d'exploiter le problème de Saada et les "six guerres" que les Houthis ont menées sous le régime de l'ancien président Ali Abdallah Saleh afin de criminaliser le régime de ce dernier, sur le thème des droits de l'homme, mais sans succès. Les Houthis étaient plus vigilants, parfaitement conscients que la guerre menée contre eux était principalement dirigée par le parti "Islah" et ses milices intégrées à la soi-disant "première division blindée", ainsi que par des centaines d'anciens "moudjahidines" rentrés d'Afghanistan et d'anciens étudiants des instituts théologiques, abreuvés par la culture du djihad et du "takfir". La "première division blindée" est la plus grande unité militaire, outre la garde républicaine, et est officiellement affiliée à l'armée yéménite. En pratique, toutefois, elle bénéficie d'une autonomie administrative et est dirigée par l'actuel vice-président, le général Ali Mohsen Al-Ahmar, un des responsables du parti "Islah". Ses dirigeants ont fui le Yémen après la prise de Sanaa par les Houthis en septembre 2014. Le rôle du Qatar : chaos, terrorisme et extrémisme Doha a considéré la démission de l'ancien président Ali Abdallah Saleh lors des événements de 2011 comme une victoire et une affirmation de son influence également confirmée avec l'avancée politique des "frères musulmans" en Égypte, en Tunisie et en Libye. Des interventions directes au Yémen ont alors commencé, notamment par le soutien accordé à des groupes extrémistes et terroristes, agissant pour Al-Qaïda au Yémen. Cette organisation avait été jusque-là sévèrement frappée par l’armée yéménite, dirigée par le général Salem Qatan qui, en juin 2012, a été assassiné par un kamikaze devant son domicile. Quelques mois plus tard, sept responsables qatariens sont arrivés à l'aéroport de Sanaa avec une somme de 20 millions de dollars. L'ambassadeur du Qatar Jassim Abu Al-Ainin les a présentés comme hommes d'affaires et investisseurs. Deux jours plus tard, les sept hommes sont retournés à l'aéroport de Sanaa, accompagnés par une étrangère que l'ambassadeur a présentée comme conseillère à l'ambassade du Qatar à Sanaa. Cependant, les agents de la sécurité de l'aéroport ont révélé qu'il s'agissait de l'otage suisse kidnappée par Al-Qaïda depuis plus d'un an, Sylvia Abrahat. Le Qatar avait versé une rançon de 20 millions de dollars à l'organisation terroriste sans coordination ni coopération préalable avec le gouvernement yéménite, mais avec des groupes tribaux liés au vice-président yéménite actuel, le général Ali Mohsen. Le Qatar a tenté de reproduire le même scénario en Irak quelques années plus tard, mais le gouvernement irakien a annoncé la saisie d'une importante somme d'argent détenue par des personnalités qatariennes se présentant comme des "hauts responsables". 350.000 dollars de rançon ont été bloqués à l'aéroport international de Bagdad. Au Yémen et au sein de la coalition arabe pour le rétablissement de la légitimité, la politique complotiste du Qatar est perçue comme un poignard empoisonné dans le dos des Yéménites et une menace contre la coalition. Aden, Shabwa, Hadhramaut: les objectifs clés du parti "Islah" Après l'opération "tempête décisive" déclenchée par l'Arabie saoudite en mars 2015, le parti "Islah" a commencé à reconstituer ses milices dans la province sunnite de Marib, où sont basés la plupart des dirigeants des "frères musulmans" et qui accueille aussi des instituts religieux pour former des combattants aux principes religieux du djihad, comme celui dirigé par Abu Anas Al-Marabi Al-Masri, d'origine égyptienne. Auparavant, des drones américains ciblaient des dirigeants d'Al-Qaïda recherchés, comme Abou Ali Al-Harithy, tué en novembre 2002, et Jamal Al-Badawi, principal suspect dans l'attaque contre le destroyer américain USS Cole, visé par un drone en janvier 2019. La province de Marib est un refuge pour les groupes extrémistes. Elle est devenu comme un émirat islamique, couvert par une pseudo armée nationale qui, paradoxalement, est reconnue par la coalition arabe dirigée par l'Arabie saoudite. Les gouvernorats de Shabwa et Hadramout dans le Sud du Yémen, représentent le poumon économique et une zone géographique importante à l'est du gouvernorat de Marib. Les deux gouvernorats sont situés sur la mer d’Arabie et sont riches en ressources pétrolières et gazières. Actuellement, de violents combats opposent les forces du "Conseil de transition du Sud" à la milice du parti "Islah" de Marib. Les dirigeants politiques et militaires du parti islamiste estiment que le contrôle par les Sudistes de tout leur territoire, à Shabwa et à Hadramaout, signifie un recul à Marib et le rétrécissement de leur zone d'influence. Par conséquent, on s'attend à ce que le parti islamique, dans sa lutte contre les forces du Sud, conserve au moins une partie des points d'accès et entreprenne des actions politiques comme la négociation avec les habitants du Sud afin de réaliser une partie de ses objectifs. Le président Hadi : une légitimité agonisante Abd Rabbo Mansour Hadi a été élu comme seul candidat consensuel en 2012 pour gouverner pendant une période de transition de deux ans. Des préparatifs aux élections législatives et présidentielles ont commencé dans le cadre d'un dialogue national approfondi tenu en 2013. Hadi a réussi à prolonger son mandat jusqu'en 2014. Après la prise de Sanaa par les Houthis, il a présenté sa démission au parlement yéménite après que les Houthis aient pris d'assaut son domicile et son placement en résidence surveillée. Des documents et des enregistrements lui ont révélé ensuite que son ancien directeur de bureau, Ahmed Awad Mubarak et l'ambassadeur du Yémen à Washington préparaient une action contre les Houthis malgré la signature d'un accord de paix et de partenariat conclu avec eux sous les auspices des Nations Unies, représentées par l'ancien médiateur Jamal Benomar. L'accord de paix et de partenariat a abouti à la formation d'un gouvernement national dirigé par Khaled Bahah, accepté par toutes les forces politiques. Mais après l'attaque des Houthis contre Aden, Hadi a dissout le gouvernement Bahah pour le nommer vice-président. Bahah n'est pas resté longtemps à ce poste car Hadi l'a ensuite congédié à la demande des dirigeants du parti "Islah" qui y voyait une réelle menace contre leurs intérêts et un véritable concurrent qui menaçait même la légitimité de Hadi. Le général-major Ali Mohsen Al-Ahmar, un des dirigeants des "frères musulmans", a été nommé vice-président. C'est la preuve que qu'un intérêt commun liait le parti islamiste et le président Abd Rabbo Mansour Hadi, qui cherchait désormais à conserver son poste aussi longtemps que possible, après avoir perdu le soutien des Sudistes et des nordistes. Les deux parties (le parti "Islah" et la présidence yéménite) considèrent le "Conseil de transition" comme un danger en raison de son contrôle sur Aden et ses progrès vers Shabwa et Hadramout. C'est une présence réelle renforcée par la volonté populaire de tourner la page de l'unité avec le Nord. Le Sud uni contre le parti "Islah" Les Sudistes ont subi de nombreuses exactions de la part du parti "Islah" après la guerre de 1994. Ses dirigeants ont diabolisé le peuple du Sud par des appels au meurtre et le pillage de ses biens. C'est une fatwa bien connue qui a légitimé l'assassinat et la stigmatisation des villes du Sud. Cette fatwa a créé une haine envers tout ce qui venait du Nord. En même temps, les forces militaires du Nord humiliaient les Sudistes, mettant en pratique la logique des forces victorieuses envers des faibles battus. En 2013, deux représentants du Sud seulement ont participé au dialogue national. Beaucoup d'autres ont cédé aux tentations financières du président Abd Rabbo Mansour Hadi et d'autres ont succombé aux pressions de Doha ou Téhéran. Les militants du Sud sont restés dispersés et n’ont pas convenu d’une approche politique unifiée jusqu’à la déclaration du "Conseil de transition du Sud" qui regroupe la plupart des factions dans différentes régions. Il se bat aux côtés de la coalition arabe et a réussi à remporter de nombreuses victoires et à libérer de nombreux gouvernorats du Sud. La plupart des régions du Nord sont sous contrôle houthi. La soi-disant "armée nationale" de Marib est inactive depuis cinq ans. Certains observateurs suggèrent même que le parti "Islah" est en train de reconstituer son potentiel militaire qu'il avait perdu après sa défaite face aux Houthis en 2014, en utilisant le soutien de la coalition arabe et en se servant de Marib comme base. Quand la guerre contre le terrorisme devient une accusation La situation a changé au Yémen et les militants du Sud qui ont activement contribué à la lutte contre le terrorisme à Al-Mukalla et Shabwa sont aujourd'hui au banc des accusés, tandis que les terroristes du parti islamique "Islah" bénéficient d'une couverture et d'un soutien du président Hadi dont l'entourage est suspecté de corruption. La question posée par de nombreux experts et analystes est de savoir pourquoi la ville de Marib, le fief des "frères musulmans", classée terroriste en Arabie saoudite, aux Émirats Arabes Unis, en Égypte, à Bahreïn et dans d'autres pays de la région, n'a pas été attaquée, ni subi un seul attentat d'Al-Qaïda ou Daech, alors que dans les villes du Sud, points de contrôle du "Conseil de transition du Sud", nombre de leurs dirigeants sont visés par des assassinats quotidiens et à des dizaines d'attaques-suicides. Les médias des organisations terroristes décrivent leurs adversaires comme des apostats qu'il faut tuer, ce qui rejoint les fatwas du parti "Islah", qui considérait comme infidèles les habitants du Sud. Les combats se déroulent actuellement à Shabwa. Les suivants opposeront les soutiens du terrorisme et son parrain le parti "Islah" à ceux qui refusent l'expansion de groupes terroristes extrémistes sous couvert de religion. L'enjeu est le contrôle des points d'accès terrestres et maritimes ainsi que les ressources pétrolières et gazières des villes du Sud : Shabwa, Aden et Al-Mukalla. Département d'études et de recherches politiques Agence de presse internationale et d'études stratégiques Paris - 26 août 2019  

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