La Russie compte 500 000 nouveaux pauvres depuis un an

  • 2019-08-01 17:56:40
D’après l’institut Rosstat, 14,3 % de la population seraient concernés. Un reflet de l’aggravation de la situation économique nationale. Il y a un peu plus d’un an, au lendemain de son élection à un nouveau mandat à la tête de la Russie, Vladimir Poutine se donnait pour objectif de diviser par deux la pauvreté dans le pays. L’horizon fixé – l’année 2024 – est encore lointain, mais la tendance semble mauvaise. Selon les statistiques officielles, publiées mardi 30 juillet par l’institut Rosstat, le nombre de pauvres est en nette augmentation. Il s’établit à 20,9 millions de personnes pour le premier trimestre, soit 14,3 % de la population, contre 20,4 millions (13,9 %) à la même période de 2018 – soit 500 000 nouveaux pauvres en un an. Ces niveaux sont comparables aux taux observés ailleurs en Europe, mais cette forte dégradation reflète l’aggravation de la situation économique nationale. D’après Rosstat, l’augmentation serait due à une légère modification de la méthode de calcul : le « minimum vital », seuil au-dessous duquel une personne est considérée comme vivant en situation de pauvreté, est passé de 10 038 roubles (142 euros) par mois à 10 753 roubles (152 euros) sans augmentation équivalente de l’inflation. Cependant, de l’avis de nombreux économistes, cette modification ne joue qu’à la marge, et ce sont bien les revenus réels des Russes qui diminuent sans discontinuer. Depuis 2014, dans la foulée des sanctions internationales prises contre Moscou et de la baisse des prix des hydrocarbures, ce recul est de l’ordre de 10 %, note Natalia Orlova, économiste chez Alfa Bank, avec encore une chute de 1,3 % au premier semestre. Les classes moyennes souffrent aussiDans une étude réalisée en mai, le Brookings Institute de Washington estimait nécessaire une croissance moyenne annuelle de 4,4 % jusqu’à 2024 pour voir la pauvreté baisser de moitié. Or celle-ci s’est établie à 2,3 % en 2018, après avoir stagné les années précédentes. Au dire de l’analyste Kirill Tremasov, la Russie n’a pas connu une période aussi longue d’appauvrissement depuis les années 1990. Les couches les moins aisées sont les premières touchées, mais les classes moyennes souffrent aussi. En cinq ans, la part des Russes qui considèrent qu’ils appartiennent à cette catégorie est passée de 60 % à 47 %. La tendance est d’autant plus marquée que la part de salariés du secteur public, et donc en grande partie dépendant d’un budget soutenu par les exportations de matières premières, est très élevée en Russie (40 % contre 13 % en Allemagne, par exemple). A en croire un sondage de l’institut indépendant Levada, les deux tiers des familles russes indiquent n’avoir aucune épargne, et 44 % d’entre elles ont des dettes en souffrance. Plusieurs observateurs jugent aussi que les statistiques officielles ne reflètent que partiellement la réalité. Les études sociologiques, et notamment celle de l’institut FOM, montrent que si 12 % des citoyens n’ont pas de quoi se payer une alimentation suffisante, encore 25 % consacrent tous leurs revenus à ce poste de dépense, sans donc pouvoir s’acheter d’habits. Même selon Rosstat, 35 % des foyers ne peuvent acheter à chaque membre de la famille une paire de chaussures par saison, 25 % ne peuvent pas recevoir d’invités et les nourrir correctement, et 11 % ne peuvent s’offrir des médicaments vitaux. Contestation politiqueLes pauvres se trouvent principalement dans les villes de province et dans les villages (mais là, l’autosubsistance compense les faibles revenus) et parmi les travailleurs ayant une famille à charge. Les retraités ne constituent plus le groupe majoritaire. Pour Natalia Orlova, la politique de « projets nationaux » annoncée par Vladimir Poutine, qui prévoit des investissements massifs dans les infrastructures (routes, hôpitaux, écoles…), va profiter aux plus pauvres, « à la fois en leur offrant des services plus accessibles, mais aussi en proposant de nouveaux emplois ». Néanmoins, la hausse parallèle de la TVA au 1er janvier 2019, de 18 % à 20 %, annule une partie de cet effet positif. La publication de ces chiffres, en pleine vague de contestation politique, a été très remarquée et commentée, des internautes ironisant sur les « vingt millions de pauvres en vingt ans de règne » de Vladimir Poutine. Le président de la Cour des comptes, le libéral Alexeï Koudrine, a mis en garde publiquement contre les risques d’« explosion sociale » liés à la pauvreté. « A Moscou et à Saint-Pétersbourg, le mécontentement est de nature politique, relève l’universitaire Valery Soloveï. Dans les régions, il est d’ordre social. »

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