Au Burkina Faso, les étudiants, « trahis » par les élites politiques, placent leurs espoirs dans la junte

  • 2022-01-31 05:01:33
Violences djihadistes, pauvreté, corruption, népotisme, mal-gouvernance : les jeunes, qui représentent les deux tiers de la population du pays, sont à bout. Hati Ouedraogo, 24 ans, est resté collé à son poste de radio pendant quarante-huit heures. Dimanche 23 janvier, puis lundi, il a suivi le putsch de militaires burkinabés minute par minute, des premiers tirs dans les casernes de la capitale jusqu’à la déclaration de la junte à la télévision nationale, partagé entre incertitude et espoir. « Les militaires vont peut-être nous aider à venir à bout du terrorisme, on verra bien », souffle l’étudiant. Quelques jours avant les mutineries dans le pays, il discutait avec des amis à l’ombre des caïlcédrats, dans la cour de l’UFR de lettres de l’université Joseph-Ki-Zerbo, à Ouagadougou. Tous « frères du Sahel » et originaires du nord du pays, ils ont pris l’habitude d’échanger des nouvelles de leurs proches restés au village en partageant un verre de thé. Etudiant en deuxième année d’allemand, Hati Ouedraogo n’est plus rentré chez lui depuis quatre ans. Toute sa famille a dû fuir face à l’arrivée des groupes djihadistes près de Tongomayel et plusieurs de ses oncles ont été tués. Assis sur un banc métallique à ses côtés, ses camarades viennent de Djibo, d’Arbinda et d’autres localités proches de la frontière… En quelques années, eux aussi ont vu leurs terres se vider, leur village presque rayé de la carte à cause des violences. « Comment se projeter dans dix, vingt ans, quand on ne sait même pas de quoi demain sera fait », se désole l’étudiant, en haussant les épaules dans sa doudoune noire. Comme lui, ils sont de plus en plus de jeunes à s’interroger sur leur avenir dans un pays qui s’enlise dans la crise depuis 2015. « Pas le droit d’échouer » Au Burkina Faso, près d’un demi-million d’élèves ne vont plus à l’école primaire et à l’école secondaire, fermées à cause des menaces des djihadistes. Et seuls 8 % des jeunes poursuivent leurs études au niveau supérieur, faute de moyens. Dans les rues, certains se sont, depuis, reconvertis en commerçants ambulants, mendient aux feux rouges ou, pis, sont recrutés par les groupes armés. A peine sorti de son évaluation d’allemand, Hati Ouedraogo, sac sur le dos, grimpe sur un vélo usé. Il est 18 heures, il est déjà en retard pour commencer sa « deuxième journée » de travail. Chaque nuit, pour payer ses études et la cantine, l’étudiant garde la porte d’une villa dans la capitale, jusqu’à 8 heures le lendemain matin. « J’en profite pour réviser. La journée, j’essaie de dormir deux heures par-ci par-là », explique-t-il, le regard creusé de cernes. Ses parents, réfugiés dans un camp de déplacés à Djibo, ont tout perdu, leurs cultures et leurs troupeaux. « J’ai du mal à me concentrer, je m’inquiète sans cesse pour eux », confie Hati Ouedraogo, qui songe à abandonner son rêve de devenir enseignant. Anxiété, stress, cauchemars… « Beaucoup sont déprimés, mais bon, si nos parents résistent là-bas, nous sommes obligés de nous battre pour eux », ajoute Adama Sadou Tamboura, 23 ans, étudiant en droit et président de l’Association des élèves et étudiants de la province du Soum. Les amis n’ont « pas le droit d’échouer ». Beaucoup sont obligés de multiplier les petits boulots en marge de leurs études pour envoyer un peu d’argent à leur famille. Adama Sadou Tamboura et son association organisent également des cours de soutien aux enfants déscolarisés pendant les vacances à Djibo et des collectes de dons de vêtements à l’université pour les déplacés. Il a aussi essayé d’interpeller les autorités et de proposer de recruter des étudiants pour enseigner dans les établissements fermés. Mais « toutes ces requêtes sont restées lettre morte », assure-t-il. Les militaires au pouvoir seront-ils plus réceptifs ? En tout cas, Hati Ouedraogo ne regrette pas le président déchu. « Il était incapable de nous sécuriser, il nous a oubliés, a délaissé notre région », s’attriste-t-il.

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