« La Russie est un pays en état de stress post-traumatique permanent »

  • 2021-11-22 13:29:54
En s’attaquant à la Memorial Society, fondée par l’ancien dissident Andreï Sakharov, le régime de Vladimir Poutine cherche à effacer tout souvenir historique du terrorisme d’Etat stalinien pour en perpétuer lui-même les effets, dénonce l’écrivain russe Boris Akounine dans une tribune au « Monde ». Tribune. L’un des problèmes les plus douloureux de la Russie est celui de la mémoire historique. C’est un pays en état de stress post-traumatique permanent. Son traumatisme psychologique le plus grave est le souvenir de la terreur stalinienne, lorsque, selon les estimations les plus modérées, environ 1 million de personnes ont été exécutées et 5 millions envoyées dans des camps. L’analyse et la reconnaissance de cette terrible expérience sont une condition préalable au redressement d’une nation, une sorte d’inoculation contre les rechutes dans le totalitarisme. La Memorial Society, fondée au moment de la démocratisation de Gorbatchev par Andreï Sakharov, s’est précisément fixé cette tâche, d’une ampleur colossale et d’une importance encore plus colossale : garder vivant le souvenir d’une époque de terrorisme d’Etat. Une tâche encore plus importante est tournée vers l’avenir : tant que nous nous souviendrons des noms de toutes les victimes et de tous les bourreaux, une répétition de la tragédie est impossible. La répression s’accélère Le souvenir des purges staliniennes et des procès sommaires conduit inévitablement la société à faire des parallèles avec les arrestations contemporaines, les affaires montées de toutes pièces et les procès fictifs. L’ampleur de la répression actuelle ne peut toujours pas être comparée à celle de l’époque de Staline, mais elle s’accélère et fait trébucher la Memorial Society, qui mène constamment des actions qui irritent les services de sécurité : elle organise des journées commémoratives, pose sur les maisons des panneaux « Dernière adresse » portant les noms des personnes qui ont été arrêtées ici. La Memorial Society a rassemblé une énorme base de données avec les noms ; elle n’est pas terminée, mais elle contient déjà des informations sur 3 millions de victimes et 40 000 bourreaux. Chacun peut y chercher ses proches ; souvent, il les trouve. C’est un sentiment fort qui nous fait regarder différemment le passé et le présent.

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