Dans le nord de l’Ethiopie, le Tigré a faim et attend les humanitaires

  • 2020-12-07 18:30:30
Sous blocus depuis un mois, la province connaît de nombreuses pénuries. Les ONG sont encore empêchées de porter assistance aux civils. Prise au piège des combats depuis un mois, la province du Tigré commence à manquer de tout. Dans cette région du nord de l’Ethiopie, où vivent 6 millions d’habitants, la faim commence même à creuser son sillon, sur fond de combats autour de la capitale provinciale, Makale. Les camps de réfugiés d’Erythréens de la zone, arrivés avant la crise qui oppose les séparatistes et le pouvoir central d’Addis-Abeba, sont déjà « à court de nourriture et d’eau potable », s’inquiète le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA). S’ils sont les premiers à subir de plein fouet les manques, ce sont aussi près de 2,5 millions d’individus qui ont besoin d’une assistance humanitaire, assure l’Unicef. L’équilibre de la région était déjà précaire puisque, en temps normal, plus de 850 000 personnes y ont un besoin chronique d’assistance. De cette partie du pays déstabilisée, 45 000 hommes, femmes et enfants éthiopiens sont partis de réfugier au Soudan voisin. C’est donc une crise humanitaire « de grande ampleur », qui s’installe, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), depuis que, le 4 novembre, l’armée d’Abiy Ahmed a été envoyée pour contrer les velléités séparatistes de la région. « Aucune victime civile » Outre ce besoin en nourriture, la Croix-Rouge s’alarme du manque de médicaments dans les hôpitaux tigréens débordés, où « 80 % des patients souffrent de traumatismes » et où, selon la même source, les sacs mortuaires commencent à manquer. Sans possibilité de s’y rendre, et alors que les télécommunications sont coupées avec la région, il reste difficile de vérifier le bilan humain avancé par les deux camps : le Front populaire de libération du Tigré (FLPT) l’estime à 19 morts, alors que, pour le premier ministre Abiy Ahmed, « il n’y a aucune victime civile ». Depuis un mois, le Tigré s’est transformé en un vaste champ de bataille. La province est le théâtre d’une guerre entre l’armée fédérale et les forces spéciales tigréennes. Qualifié « d’opération de maintien de l’ordre » par le gouvernement, cet affrontement comprend en réalité plus de 100 000 hommes, l’usage à grande échelle de roquettes, d’avions de combat, de tanks ou encore d’artillerie, qui font craindre pour la sécurité des civils. « Nous faisons tout notre possible pour éviter une catastrophe dans la région », assure le porte-parole d’OCHA, Saviano Abreu, qui répète que l’agence met tout en œuvre pour rejoindre au plus vite le Tigré, située à 700 kilomètres au nord de la capitale éthiopienne. Cet accès, les Nations unies ont fini par l’obtenir après plusieurs semaines de négociations. L’accord du 29 novembre, annoncé le 2 décembre par l’ONU, comprend « un accès sans restriction, continu et sécurisé pour les organisations et personnels humanitaires dans les zones du Tigré sous contrôle du gouvernement fédéral ». Une avancée, même si les Nations unies réclamaient plus qu’un simple corridor humanitaire. D’ailleurs, ce texte ne résout pas tout, si l’on en croit Saviano Abreu, qui négocie avec toutes les parties du conflit « pour pouvoir aider les personnes en besoin dans toute la région, sans nous cantonner aux zones contrôlées par le gouvernement ». Le leader du FLPT, Debretsion Gebremichael prétend, lui, donner un accès aux humanitaires dans les zones qu’il contrôle, sans plus de précisions si ce n’est que « beaucoup de civils sont déplacés et en grande urgence de nourriture, d’abris et de médicaments ». Pour le commissaire européen à la gestion des crises, Janez Lenarcic, tout cela « n’est pas acceptable ». A ses yeux, « ce sont les organisations humanitaires qui décident où, quand et à qui elles peuvent porter assistance, poursuit-il. Cela ne doit en aucun cas être la décision d’un gouvernement ». L’Union européenne n’écarte d’ailleurs pas la possibilité de recourir à des sanctions financières, même si « nous n’avons pas encore atteint ce stade », assure Janez Lenarcic, qui réclame une nouvelle fois « une ouverture immédiate du Tigré ». La promesse d’une « réponse humanitaire dans les prochains jours » avait pourtant été faite par le ministre adjoint des affaires étrangères, Redwan Hussein, le 16 novembre. Interrogées sur ce retard, les autorités fédérales n’ont pas donné suite aux demandes d’interview du Monde. De leur côté, les organisations humanitaires confient qu’elles peinent à accéder au Tigré. « C’est très compliqué », résume l’une d’entre elles, sous couvert d’anonymat. Outre la longueur des pourparlers, la composition des équipes est aussi devenue un casse-tête. « On doit faire attention au facteur ethnique », assure la même source, alors que le conflit a exacerbé les tensions entre Tigréens et Amhara.

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