« On a appliqué l’ordre de tuer tout le monde, enfants ou adultes » : deux ex-soldats birmans racontent le massacre des Rohingya

  • 2020-09-09 17:06:05
Pour la première fois, deux anciens militaires birmans témoignent des violences commises en 2017 contre la minorité musulmane. En seize minutes, toute l’horreur semble dite, presque mécaniquement. Sur des vidéos, visionnées par Le Monde, deux anciens soldats de l’armée birmane égrènent les meurtres, les viols et les pillages commis contre les Rohingya en 2017. Ils détaillent la chaîne de commandement, nomment les chefs, identifient leur rang et dénoncent leurs ordres. Les deux hommes sont désormais entre les mains de la Cour pénale internationale (CPI). Ils seraient arrivés à La Haye, lundi 7 septembre, indiquent deux sources au Monde. Interrogés et filmés en juillet par une guérilla en conflit avec l’armée birmane, les rebelles de l’Armée de l’Arakan (AA), les deux anciens soldats semblent déposer comme s’ils étaient déjà face à des juges. Vêtus de leur uniforme, assis face à la caméra, ils confessent les crimes en détail, donnant les noms de villages et la localisation des fosses communes dans lesquelles ils ont jeté les corps des Rohingya. « Nous les abattions et nous débarrassions d’eux en appliquant l’ordre de tuer tout le monde, enfants ou adultes », relate l’un d’eux, qui précise avoir agi sur ordre direct de son lieutenant-colonel, à la tête du bataillon. Leurs témoignages, dont l’existence a été révélée, mardi, par le New York Times, sont les premiers venus des rangs mêmes de l’armée birmane, sur les massacres commis à l’été 2017 contre la minorité musulmane, conduisant à l’exode au Bangladesh des deux tiers de sa population d’un peu plus de un million de personnes. « C’est un moment crucial pour les Rohingya et pour les peuples de Birmanie dans leur quête de justice », assure Matthew Smith, directeur de l’ONG Fortify Rights, qui travaille sur le drame des Rohingya. L’armée birmane a toujours nié l’existence d’attaques massives contre les Rohingya, tandis que la dirigeante Aung San Suu Kyi, répondant à l’affaire portée par la Gambie au nom de l’Organisation de la coopération islamique, devant la Cour internationale de justice cette fois, a considéré, en décembre 2019, que « l’intention génocidaire ne peut être l’unique hypothèse » des violences, tout en reconnaissant « la souffrance de plusieurs innocents ». Dans les vidéos tournées par l’AA, le soldat Myo Win Tun, 33 ans, dit avoir été impliqué dans l’exécution de femmes, d’hommes et d’enfants, et reconnaît un viol dans le village de Taung Bazar, en septembre 2017. Le deuxième classe Zaw Naing Tun, âgé de 30 ans, estime que son groupe a bien tué quatre-vingts musulmans, y compris des vieillards, et rasé une vingtaine de villages. Un jour de septembre 2017, dans le village de Zin Paing Nyar, dix Rohingya ont été ligotés, puis abattus, vers 15 heures, par cinq soldats, dont lui-même, qui creusèrent un trou ensuite, pour finir la besogne, aux alentours de 17 heures : « Il a fallu deux heures pour les enterrer. »

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