De l’« inutilité » pour le grand public à l’obligation généralisée, sept mois de consignes sur le masque en France

  • 2020-08-29 14:23:37
L’obligation du port du masque pour tout le monde dans les rues des grandes villes de France est l’aboutissement de sept mois de décisions politiques évolutives. Il était « inutile » pour le grand public, le voici désormais obligatoire dans les rues des plus grandes villes de France. Le masque de protection, chirurgical ou en tissu, s’est imposé en quelques mois comme l’un des outils majeurs de lutte contre l’épidémie de Covid-19. C’est « une contrainte raisonnable que nous devons accepter pendant un temps », a estimé Emmanuel Macron vendredi 28 août. Pourtant, dans un contexte d’incertitude profonde sur la maladie et de mauvaise gestion des stocks, les autorités sanitaires ont longtemps rechigné à conseiller, puis à imposer, le port du masque en France, dans les lieux clos puis à l’extérieur. Petite revue non exhaustive des décisions et des prises de parole du gouvernement depuis le début de la crise due au coronavirus. Janvier-mars : pour les soignants et les malades uniquement Fin janvier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) officialise la transmission entre humains du Covid-19. La Chine, berceau de l’épidémie, a coupé ses exportations de masques en France, où l’on ignore encore la pénurie à venir. Agnès Buzyn, la ministre de la santé, assure alors, le 26 janvier, que « les masques chirurgicaux (…) sont uniquement utiles quand on est soi-même malade, pour éviter de contaminer les autres », ainsi que le recommande l’OMS, qui en sait encore peu sur le virus SARS-CoV-2. Un mois plus tard, le nouveau ministre de la santé, Olivier Véran, « recommande » aux personnes venants des zones de circulation connue de l’épidémie (Chine, Corée, nord de l’Italie…) de porter un masque pendant les quatorze jours suivant leur retour en France. Le port « est également plus que recommandé pour les malades afin d’éviter la diffusion de la maladie par voie aérienne ». Début mars, le nombre de cas augmente rapidement en France, ce qui conduira, le 16, au confinement de la totalité de population française. Le 19 mars, le premier ministre, Edouard Philippe, défend devant l’Assemblée nationale un objectif : « Faire en sorte que cette ressource rare soit bien utilisée. » Car depuis quelques jours, les pharmacies sont à court et, le 4 mars, le gouvernement a réquisitionné les stocks de masques de protection et donné des consignes très précises pour leur distribution aux professionnels. « C’est vraiment une denrée rare, une ressource précieuse pour les soignants, et totalement inutile pour toute personne dans la rue », déclare le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, le 18 mars. Dans les hôpitaux, face à des stocks réduits à peau de chagrin, les soignants n’ont d’autre choix que de porter les masques sanitaires plus longtemps que recommandé, et des responsables appellent aux dons pour subvenir aux besoins hospitaliers. Le 25 mars, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, assure, en ce qui concerne le grand public, qu’« il n’y a pas besoin de masque quand on respecte la distance de protection vis-à-vis des autres ». Avril-mai : le début des obligations pour le grand public Début avril, une évolution d’importance : à la suite de publications scientifiques, l’Académie nationale de médecine « recommande que le port d’un masque « grand public », aussi dit « alternatif », soit rendu obligatoire pour les sorties nécessaires en période de confinement ». Le 4 avril, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, numéro deux du ministère, confirme l’évolution – progressive et comparable à celle des autres pays occidentaux touchés par l’épidémie – de la doctrine sanitaire française : « Nous encourageons le grand public, s’il le souhaite, à porter (…) ces masques alternatifs qui sont en cours de production. » Jérôme Salomon, qui fait alors chaque jour un point sur la situation sanitaire, s’en explique : « Nous apprenons chaque jour de ce nouveau virus. Peut-être qu’un jour nous proposerons à tout le monde de porter un masque, mais on n’en est pas là. » Le ministre de la santé confirme alors que l’évolution de la doctrine est corrélée à celle des stocks. « Il n’est pas impossible qu’on étende et qu’on généralise l’usage du masque, mais en fonction des capacités disponibles, déclare Olivier Véran à Brut, nous sommes en train d’évoluer vers ça. » Dans son intervention télévisée du 13 avril, Emmanuel Macron annonce que « l’Etat (…) devra permettre à chaque Français de se procurer un masque grand public » et amorce les obligations à venir. Présentant la stratégie du déconfinement, le premier ministre « invite », le 28 avril, « toutes les entreprises, quand leurs moyens le leur permettent, à veiller à équiper leurs salariés » en masques de protection. Le 7 mai, en préparation du déconfinement du 11 mai, Elisabeth Borne, alors ministre de l’écologie, annonce l’obligation du port du masque dans les transports en commun afin d’assurer la « protection des usagers et des personnels des transports ». Avec le déconfinement, le port du masque se généralise dans certaines situations : il devient obligatoire pour les collégiens qui retournent en cours, pour les députés à l’Assemblée nationale, sur les chaînes de production de Renault et dans les tribunaux. Et même dans les rues de Nice, souhaite son maire, Christian Estrosi. Un arrêté similaire à Sceaux (Hauts-de-Seine) avait été retoqué par le Conseil d’Etat. C’est le début d’un débat : le masque doit-il être porté dehors, dans la rue, voire sur les plages ? La ville de Strasbourg, qui a pris un arrêté similaire à celui du maire de Nice, est déboutée par la justice administrative. Même la maire de Paris, Anne Hidalgo, réclame le port du masque obligatoire « dans toutes les rues de notre ville ». Mais la jurisprudence du Conseil d’Etat limite les pouvoirs des maires. Pendant ce temps, alors que de plus en plus de magasins exigent d’eux-mêmes le masque à l’intérieur, le débat monte : faut-il obliger son port dans l’ensemble des lieux clos ? La littérature scientifique, l’OMS et de très nombreux scientifiques convergent : le masque est un outil efficace contre la propagation du virus, car il limite sa transmission aérienne – plus encore dans un lieu clos. Le 12 juillet, 14 médecins de renom demandent la généralisation de l’obligation du port du masque dans les lieux publics clos. Lors de son entretien du 14 juillet, le chef de l’Etat dit « souhaiter » qu’une telle règle soit en place à partir du 1er août. Le gouvernement favorise une accélération à la faveur de l’épidémie en Mayenne et avance cette obligation au 20 juillet, alors que des premiers chiffres signalent une lente reprise de l’épidémie en plein été. « Cela concerne les commerces, établissements recevant du public, marchés couverts, banques… », confirme Olivier Véran sur Twitter. Août : l’obligation dans les entreprises et les rues Alors que de nombreuses villes prennent les devants, le ministre de la santé annonce, le 31 juillet, que les préfets « pourront désormais par arrêté étendre l’obligation de port du masque aux lieux publics ouverts ». Un revirement politique pour un gouvernement qui souhaite désormais « des solutions territoriales » à la crise sanitaire, plaide le nouveau premier ministre, Jean Castex. Cette nouvelle étape permet, tout au long du mois d’août, de voir se multiplier les arrêtés locaux de port du masque obligatoire sur les marchés, dans les zones piétonnes des centres-villes… A Marseille, les premières obligations du 7 août concernent certains secteurs touristiques, en journée ou en soirée. A Paris, l’obligation concerne aussi, en premier lieu, les lieux les plus fréquentés. A la tête du conseil scientifique, l’immunologue Jean-François Delfraissy approuve ces décisions. « Dans la rue bondée d’une station balnéaire, le port du masque s’impose », mais le professeur dit alors sa préférence pour « l’incitation ». La propagation aérienne du virus est prouvée, mais il n’existe que très peu de cas documentés de contamination à l’air libre. A la mi-août, le Haut Conseil de la santé publique prône le port « systématique » du masque dans « tous les lieux clos publics et privés collectifs ». Jean Castex demande aux préfets, le 11 août, d’« étendre le plus possible l’obligation du port du masque dans les espaces publics ». La pression s’intensifie pour éviter un reconfinement de la population, à mesure que les chiffres quotidiens de nouveaux cas augmentent. A partir de la mi-août, le gouvernement multiplie les annonces pour préparer la rentrée à l’école et sur les lieux de travail. Les nouvelles consignes en entreprise, qui devraient être précisées en début de semaine prochaine, font état du port « systématisé » du masque, y compris dans les open spaces, à partir du 1er septembre. Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, impose le masque en classe en toutes circonstances, et pas seulement quand les distances ne sont pas possibles, comme il le prévoyait en juillet. Même chose dans l’enseignement supérieur désormais, confirme Jean Castex : « La règle est simple : le port du masque est désormais obligatoire dans tous les espaces fermés où se situent plusieurs personnes. » Pour l’extérieur, les décisions s’enchaînent au niveau local. Le 19 août, Toulouse ouvre le bal : elle devient la première grande ville à imposer partout le port du masque. Bientôt, Bordeaux, Strasbourg, Marseille puis Paris suivront.

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